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TRAITS D’UNION

Correspondances citoyennes et écosociales
de la 10
ème circonscription des Français de l’Etranger

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Qui sommes-nous ?

Citoyen.e.s français.es et binationaux, résidents ou ayant résidé dans un pays de la 10ème circonscription des Français de l’Etranger*, étudiant.e.s, chercheur.euse.s, salarié.e.s, entrepreneur.euse.s, retraité.e.s, jeunes et plus âgé.e.s, engagé.e.s dans la vie politique, dans les syndicats et dans les milieux associatifs.  

Traits d’Union est un bimestriel, avec un comité de rédaction, un comité de lecture. Il ne censure pas les articles proposés s’ils ne sont pas incompatibles avec les valeurs les plus consensuelles de la NUPES. Il ne les réécrit pas non plus, comme cela se pratique dans beaucoup de rédactions. 

Traits d’Union est ouvert à tous vos articles et relaie toutes les initiatives qui proposent des alternatives sociales, écologiques, citoyennes, respectant les droits de l’Homme, luttant contre les violences sexistes et sexuelles. Il diffuse des articles sur la 10e circonscription des FE dans toutes ses dimensions, ainsi qu’un espace de tribunes pour réfléchir et débattre.  

Guy DELACOUR et Chantal MOUSSA.

Directeur et directrice de publication.

 

*Afrique du Sud, Angola, Arabie saoudite, Bahreïn, Bénin , Botswana , Burundi, Cameroun, République centrafricaine , Comores, République du Congo , République démocratique du Congo, Djibouti, Égypte, Émirats arabes unis, Érythrée, Éthiopie, Gabon, Ghana, Guinée équatoriale, Irak, Jordanie, Kenya, Koweït, Lesotho, Liban, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Nigeria, Oman, Ouganda, Qatar, Rwanda, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Eswatini, Syrie, Tanzanie, Tchad, Togo, Yémen, Zambie, Zimbabwe.

 

Pour nous contacter: traitdunion.fec10@gmail.com

VISITE D’EMMANUEL MACRON AU CAMEROUN

Visite de Macron

La visite du président français Emmanuel Macron au Cameroun, mardi 26 juillet 2022, n’a pas connu la ferveur et le succès de celle de ses prédécesseurs. Il a tenu une conférence de presse commune à Yaoundé avec son homologue Paul Biya, 89 ans et au pouvoir depuis bientôt quarante ans. Fidèle à son habitude et dans son style caractéristique qu’il qualifie lui-même de franc et direct,

il s’est exprimé sur la question de l’influence russe sur le continent et a évoqué un accord de coopération militaire entre Yaoundé et Moscou qui avait fait tiquer à Paris. Dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine et alors que Yaoundé s’est abstenu de voter les sanctions à l’ONU.

Le président Emmanuel Macron, interrogé sur les inquiétudes de l’Élysée face à l’influence russe sur le continent africain, a parlé d’une double diplomatie russe au micro de nos envoyés spéciaux. « La Russie a complété son offre diplomatique par l’intervention de milices Wagner. En particulier, ce que nous avons vu ces dernières années fleurir en République centrafricaine et au Mali, pour ne citer que deux cas, est très préoccupant, parce que ce ne sont pas des coopérations classiques ». Le président Français insiste : « À ce moment-là, c’est la Russie qui décide, par le truchement de milices, de venir en soutien soit à des pouvoirs politiques affaiblis qui décident de ne pas gérer leurs problèmes de manière politique mais de les militariser, soit à des juntes militaires qui n’ont aucune légitimité politique pour leur dire nous vous apportons sécurité et protection à vous, pas à votre peuple, à vous, en échange d’une influence russe et d’une captation des matières premières, avec souvent des exactions qui sont d’ailleurs documentées par la commission des droits de l’homme des Nations unies et toutes les missions qui s’y déploient.

C’est ça ce qui se passe. » Il a qualifié les africains d’hypocrites parce que ceux-ci souhaitent des coopérations avec d’autre pays et notamment la Russie, cette critique n’a pas été apprécié par une assistance composée en majorité de Camerounais Pour une partie de la société civile du pays, le président français est avant tout venu défendre les intérêts de Paris et éviter un rapprochement avec la Russie. Il n’a pas compris que l’évolution du monde et les partenariats avec la Chine et la Russie commandent un changement de paradigme et une nouvelle relation avec le pays de ses anciennes colonies et que cela entraînera à court ou à moyen terme une rupture. Les mentalités en Afrique sub-saharienne ont évolué et les populations aspirent à des relations plus équilibrées.
Entre amertume, déception mais aussi espoir sur les questions mémorielles, la société civile camerounaise était partagée au lendemain de la visite du président français, Emmanuel Macron. Celle-ci « ne changera rien » à la vie des Camerounais, frappés de plein fouet par la hausse des prix des denrées alimentaires et par la rareté de l’essence, elle n’aura pas non plus permis d’avancer sur les dossiers les plus douloureux : le conflit en cours depuis 2017 dans les deux régions anglophones, la répression frappant certains défenseurs des droits humains et journalistes,
la libération des nombreux prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles surpeuplées du pays.

JM MVONDO

Qatar et Coupe du monde

La coupe du Monde

On reproche au Qatar des conditions abominables faites aux  travailleurs sur les chantiers publics et privés, la surmortalité de ces derniers dans des proportions catastrophiques, la corruption des instances internationales du Football, une empreinte carbone folle pour la climatisation des stades etc. Bref, il ne resterait plus que le thème de la pédophilie satanique des illuminatis pour faire du Qatar l’image absolue du mal. En attendant, il constitue déjà un formidable Autre, tant repoussoir que source de défoulement de nos colères et nos peurs.

Si on y regarde de près, certains des reproches envers le Qatar semblent parfaitement légitimes alors que d’autres apparaissent bien problématiques. Le Qatar, en effet, a fait venir plus d’un million de travailleurs étrangers sur son territoire pour la construction de l’ensemble des infrastructures et des bâtiments nécessaires pour la tenue de la coupe du monde et la venue des fans du monde entier. Les conditions de travail, trop souvent déplorables par les longues journées, la chaleur, des petits salaires dans un pays cher et, surtout, les trop nombreux accidents, mortels ou incapacitants, qui ont fait de cette coupe du monde une catalyse des mécontentements internationaux.

Mais ce qui m’étonne quelque peu, moi, le psychologue social, c’est que toutes les belles âmes condamnant cette exploitation semblent redécouvrir le capitalisme brut, certes sans gêne et plus libéral que chez-nous. Quand a-t-on pleuré la dernière fois pour ceux qui cassent leur corps pour construire nos routes et nos bâtiments ? Quand a-t-on déploré pour la dernière fois les foyers Sonacotra ?

Et si on va un peu plus loin, pourquoi personne n’a appelé à boycotter la coupe du monde 2018 en Russie qui n’a pris à ce jour aucune mesure significative visant à réduire les émissions de carbone ou à développer des sources d’énergie renouvelable ? (Je ne vais pas parler des avions de chasse russes qui bombardaient les civils syriens à Alep et ailleurs, ni de l'annexion de la Crimée qui s’est passée juste 4 ans avant). Les belles âmes condamnant le Qatar pour ses « stades climatisés » vont appeler au boycott de la Coupe du monde aux USA ? Elles doivent savoir que les États-Unis sont la première nation au monde retirée officiellement de l'accord de Paris sur le climat. Trump a annoncé sa décision en juin 2017, et la FIFA en 2018 a pris sa décision d’organiser la coupe du monde-2026 aux USA, Canada et Mexique!

D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les stades vont être climatisés alors qu’il fait entre 20 et 25 degrés au mois de novembre !  Mais je vais pousser encore plus loin en disant : s’il faut s’insurger contre les stades chauffés l’été, il faut faire de même pour les 4000 piscines et les milliers de terrasses-cafés chauffés en hiver en France.

D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi les stades vont être climatisés alors qu’il fait entre 20 et 25 degrés au mois de novembre !  Mais je vais pousser encore plus loin en disant : s’il faut s’insurger contre les stades chauffés l’été, il faut faire de même pour les 4000 piscines et les milliers de terrasses-cafés chauffés en hiver en France.

Au sujet de la surmortalité des travailleurs, le Guardian annonce 6500 morts, et tous les médias français comptent sur cette source alors que l'Organisation Internationale du Travail (OIT) n’a pas confirmé ce chiffre ! Je pense que personne ne peut confirmer ce chiffre ni l'affirmer ni donner un chiffre exact. Enfin, j’ai l’impression que certains ont ce que j’appelle le Syndrome Qatari.

MAXIME ALARABI

Hyam Yared et Alexandre Najjar, 
ou le choc de deux écritures libanaises francophones.

Hyam Yared

Les romans, « essais » et poèmes de Hyam Yared ont maintenant constitué une véritable œuvre. C’est une écriture forte, originale, qui s’y est déployée et affinée. Originale comme doit l’être toute écriture authentique. Ce qu’elle veut dire ne peut être dit que par la quête continue, d’une écriture digne des meilleures modernités. Cela s’est confirmé dans le dernier roman publié, Implosions (août 2021). Cette écriture forte s’est faite dans l’immédiateté du 4 août 2020. Adéquate au sujet du roman, elle reprend et approfondit l’art maintenant efficace de Tout est halluciné (2016), ou de Esthétique de la prédation (2013). 

On peut ne pas être d’accord avec l’idée de Esthétique de la prédation que la prédation est profondément ancrée dans la nature humaine : « […] la prédation se perpétue à travers les systèmes politiques quels qu’ils soient et aussi nobles, légitimes, illégitimes, abjects furent les causes ou les idées qui les ont fait naître. » 

Mais comment ne pas réfléchir à : « Ainsi, les dictatures visibles ou invisibles se soucient-elles d’ancrer dans les consciences collectives de nos sociétés la peur d’autrui comme unique moyen de vaincre ce qui nous est inconnu en l’écartant de nous, ou en le dévorant.»

Certes ! Il n’en demeure pas moins que l’écriture de Hyam Yared, dévoratrice, presque par homonymie « hallucinée », opère comme le chirurgien qui vous enlève d’un geste rapide et efficace, la cataracte. On retrouvera une vue plus claire du réel. Ou, plutôt, comme l’ophtalmologiste qui, pour vous faire un fond d’œil, vous met des gouttes d’un produit qui vous sème un brouillard d’excès de lumière, un brouillard acide, qui vous rend tout invisible quelques secondes, pour mieux réussir son examen de votre vue et porter le bon diagnostic qui vous aidera à prendre les bonnes décisions pour bien voir.

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Si, en revanche, vous voulez (c’est votre droit de lecteur ! A chacun ses goûts et ses jugements esthétiques et nous assumons personnellement la subjectivité de notre critique littéraire) entretenir le sommeil dogmatique sur le monde d’aujourd’hui, vous pouvez apprécier l’écriture non pas plate au sens de celle d’Annie Ernaux, notre tout récent prix Nobel français, mais écriture de platitudes, d’Alexandre Najjar, qui a récemment encore sévi dans Le syndrome de Beyrouth (septembre 2021).

Il est vrai qu’il est comme le mort-vivant qui jamais ne meurt et fait sans cesse revenir le personnage surfait du « Grand écrivain » si bien raillé dans le personnage du Dr Arnheim créé par Robert Musil dans L’Homme sans qualités  (1930-1932), le « grand écrivain industriel allemand », comme l’auteur dit.

Mais quand on court après les prix littéraires, du type de celui accordé à Alexandre Najjar, de « Grand prix de l’Académie française et de la Bourse de l’écrivain de la Fondation »… Mais de quelle Fondation ?  La Fondation Lagardère » ! Oui, que faire alors d’autre que d’être l’automate de l’écriture, le mort-vivant, le vieil acteur défraîchi du mythe du grand écrivain pourtant bien en loques et mangé par les mites ? 

GUY DELACOUR

Fresque du climat: Quel défi !

Ecologie quel défi
Land Pollution

Le dérèglement climatique nous oblige à considérer l’Humanité dans son unité. Il ne peut pas seulement y avoir une réponse locale. Les réponses doivent être concertées et globales. Heureusement les Conférences Of the Parties existent mais suffisent-elles ? 

Le dérèglement climatique nous oblige à considérer l’Humanité dans son unité. Il ne peut pas seulement y avoir une réponse locale. Les réponses doivent être concertées et globales. Heureusement les Conférences Of the Parties existent mais suffisent-elles ? Certainement pas. Chaque individu, chaque groupe social ou politique, chaque nation est responsable des actions mises en œuvre pour baisser ses émissions de Gaz à Effet de Serre.

On peut ne pas être d’accord avec l’idée de Esthétique de la prédation que la prédation est profondément ancrée dans la nature humaine : « […] la prédation se perpétue à travers les systèmes politiques quels qu’ils soient et aussi nobles, légitimes, illégitimes, abjects furent les causes ou les idées qui les ont fait naître. » 

Mais comment ne pas réfléchir à : « Ainsi, les dictatures visibles ou invisibles se soucient-elles d’ancrer dans les consciences collectives de nos sociétés la peur d’autrui comme unique moyen de vaincre ce qui nous est inconnu en l’écartant de nous, ou en le dévorant.»

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Ne nous trompons pas, chaque geste est important. De la maîtrise de sa consommation de chauffage, de vidéos à la demande, de voyages jusqu’à la mise en place de réglementations contraignantes pour tous les secteurs économiques, financiers et politiques, tout est bon pour répondre aux problèmes d’émissions de GES.

Qu’est-ce qui coince ? Notre système économique actuel dépend à 100 % des ressources, notamment énergétiques, présentes sur Terre. Sachant que l’utilisation de ces ressources entraîne inévitablement des émissions de GES, comment voulez-vous que cela fonctionne comme avant ?

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Pour trouver des issues, nous avons besoin d'imagination et d'intelligence collective. C’est ensemble, toutes classes sociales confondues, que nous pourrons trouver les solutions à mettre en place pour garantir un fonctionnement sociétal respectueux du système terrestre.

Land Pollution

Mais avant tout, soyons d’accord sur les mécanismes du problème ! Car oui, il reste une grande partie de la population mondiale qui ne s’empare pas suffisamment de ce sujet. Et c’est là que les citoyens, les partis politiques, doivent jouer un rôle. Les membres du gouvernement, certains députés des Assemblées, Nationale et des français de l’étranger ont été ou vont être formés aux enjeux climatiques, c’est bien la preuve de l’urgence ! En espérant que l'absentéisme sera faible, mercredi, sur 577 députés, 115 étaient inscrits et une trentaine étaient présents… Vous avez dit “greenwashing” ?

Il existe beaucoup de moyens pour s’intéresser au fonctionnement climatique : des documentaires, des émissions radiophoniques, des comptes Twitter de vulgarisateurs, des podcasts. Il existe aussi un jeu appelé « La Fresque du Climat ». C’est un atelier ludique et scientifique. Il reprend les éléments des rapports du G.I.E.C. et apporte des outils de compréhension du dérèglement climatique. Mais le plus intéressant est que cela permet à un groupe d’individus qui ne se connaissent pas de discuter, de confronter des idées. Chacun en ressort grandi. C’est sûrement ce qu’ont ressenti les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat lors de leurs travaux.

Même si vous pensez tout savoir sur le changement climatique, je vous conseille de participer à un atelier de  La Fresque du Climat. Dans tous les cas, vous ne perdrez pas votre temps : soit vous aurez appris, soit vous aurez transmis, deux piliers de l’histoire de l’humanité !

CÉDRIC LECELLIER

Chronique culturelle du Sud (2) 
Le port de Lamia Ziadé

AM LB

Le port de Lamia Ziadé

Le port a jauni... Cette fois ce n'est pas celui de Marseille (cf. Trait d'Union 2021-n°1), mais celui de Beyrouth, jauni par les silos de grain éventrés après l'explosion du 4 août, il y a deux ans déjà... Lamia Ziadé – artiste et illustratrice franco-libanaise née en 1968, à Beyrouth – est intimement liée au port de la capitale, notamment à travers son histoire familiale (son oncle en supervise la construction, la maison de sa grand-mère donne sur les silos,...). Depuis longtemps, sans s'en rendre vraiment compte, elle collectait diverses images du port de Beyrouth, et l'a dessiné et photographié au fil des années. 

Lorsque survient l'explosion du 4 août, elle se trouve à Paris. Quelques jours plus tard, Lamia Ziadé commence alors à réaliser un récit graphique autour de la catastrophe. Il s'agit d'abord de concevoir une dizaine de pages pour le magazine M du Monde – commande qu'elle avait refusée au préalable, ne se sentant pas prête à créer à partir d'un événement aussi récent et traumatisant. Incitée à poursuivre ce projet par son éditeur, Ziadé continue de dessiner et d'écrire, presque sans interruption pendant six mois, pour enfin publier Mon Port de BeyrouthC'est une malédiction, ton pauvre pays !, en avril 2021 chez P.O.L. La genèse de cette œuvre n'est pas anecdotique ; elle caractérise le point de vue d'une artiste face à la catastrophe, et la difficulté d'une prise de position sur le fait de créer, ou non, à partir de celle-ci. Le titre et le sous-titre indiquent d'emblée le point de vue (aux deux sens du terme) choisi par Ziadé : les adjectifs possessifs dirigent ce récit vers une expérience personnelle vécue depuis un pays différent. Ainsi, la catastrophe est observée et racontée depuis la France ; le point de vue, celui d'une artiste franco-libanaise vivant à Paris, qui ne peut suivre que de loin cet événement qui l'ébranle. Comme des milliers de spectateurs, elle n'est pas témoin de l'explosion : elle regarde indirectement, à travers des images variées, l'explosion du port de Beyrouth et ses conséquences. Mais comme d'autres milliers de spectateurs – d'origine libanaise, parfois exilés – elle est directement touchée par cette catastrophe qui ravage la capitale du pays qui est encore le sien. Ainsi, afin de tenter de voir et de comprendre ce qu'il s'est passé, Lamia Ziadé explore inlassablement les médias et les réseaux sociaux entre le 4 août 2020 et le 20 janvier 2021 – date qui clôt son livre. C'est donc une véritable immersion dans les images qui se joue dans Mon Port de Beyrouth ; expérience difficile pour l'artiste, qui le réalise dans une sorte d'urgence afin de rapporter un récit « à chaud » de la catastrophe et de ses suites. 

Mon Port de Beyrouth est de petit format pour un livre illustré – permettant une certaine proximité avec ses lecteurs. Il comporte 230 pages, dont 141 avec des dessins de l'artiste, de tailles différentes. On regarde tour à tour différents moments de l'explosion, des portraits de victimes, de survivants, de politiciens... des scènes de dévastation et de reconstruction, des objets brisés, des unes de journaux, de multiples vues du port avant la catastrophe... Cette variété crée un dynamisme, et renvoie à la médiatisation de l'événement. Ziadé se plonge dans la quantité d'images livrées sur Internet, et les redessine dans un style simplifié, le plus souvent avec des aplats de couleurs vives. Réalisés à la gouache, les dessins ne sont pas des reproductions d'images (vidéos, photos de médias ou de témoins, images privées), mais des sortes de reprises – autorisant quelques transformations, mais permettant d'aller à l'essentiel de ce que Ziadé veut montrer et faire ressentir. 

Comme pour ses livres précédents, la collecte d'images est une étape importante du travail de Lamia Ziadé. Mais alors qu'elle œuvre habituellement avec des archives du passé, celles utilisées pour Mon Port de Beyrouth sont collectées au jour le jour sur Internet, principalement sur Instagram. Beaucoup sont des images de l'explosion, que l'artiste représente à des moments ou des points de vue différents. Le passage de la vidéo (documentaire) au dessin (artistique) ne décharge pas totalement la violence de la déflagration et de sa représentation... La monstruosité de l'événement – terme qui revient plusieurs fois dans le livre de Ziadé – est comme assourdie, mais ne disparaît pas à travers les pages de son récit illustré. Par ailleurs, l'ambivalence qui s'opère dans le choix de couleurs vives pour des scènes violentes est caractéristique de son travail. Pour Ziadé, c'est « un contraste très libanais. On vit dans la violence, le malheur, la destruction mais on est un pays joyeux avec de l'humour, des couleurs. » (1) Ainsi la peur, la tristesse, la colère, mais aussi la joie et l'étonnement s'entremêlent dans les pages de Mon Port de Beyrouth. Quant aux images qui l'émeuvent, ce sont en particulier les portraits des victimes, qui viennent ponctuer l'ensemble du livre. Mon Port de Beyrouth en contient une quarantaine ; plusieurs sont ceux de la brigade des pompiers intervenue lors de l'incendie de l'entrepôt, et en particulier ceux d'une jeune femme, Sahar, qui en faisait partie. À l'origine, ces images sont des photographies privées, qui ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Parfois, les pages représentant ces visages souriants se succèdent, créant des galeries de portraits en hommage aux disparus, que Ziadé ne laisse jamais anonymes. L'artiste tente alors de nous rapprocher des victimes, de les garder vivantes aux yeux des lecteurs. Elle écrit: « La douleur collective des Libanais passe par ces images que tout le monde a vues cent fois, et qui, même la centième fois, arrachent des larmes. » (2). Les émotions associées aux images sont particulièrement importantes dans le cas de cette catastrophe nationale : au-delà du deuil de chaque famille, c'est un deuil collectif qui s'établit à travers leur diffusion – et à travers le livre de Lamia Ziadé.

 

Dans Mon Port de Beyrouth, la malédiction dont il est question dans le sous-titre est considérée à partir d'événements durant la guerre civile et les conflits des années 2000-2010, mais aussi de toutes les aspirations avortées durant l'histoire du pays – de l'expansion manquée du port de Beyrouth dès sa construction, jusqu'à la révolution interrompue d'octobre 2019. Cependant, Lamia Ziadé ne perd pas espoir et choisit de terminer son livre par ses mots : « Depuis le 4 août, on ne photographie le silo que sous un angle, du côté de l'explosion. Décharné, défiguré, mutilé, carcasse monstrueuse. Vu de l'autre côté, côté ouest, il est encore bien blanc et bien droit, presque intact. J'y vois un signe, tout n'est pas perdu. D'autant plus que le côté ouest, c'est celui qui prend la lumière. La lumière qui vient de la mer. La lumière du soleil couchant. » (3) S'il reste à présent peu de parties intactes des silos – suite aux nouveaux effondrements durant l'été – et si la perspective d'un avenir s'amenuise toujours plus chez les Libanais, faisons persister cette lueur d'espoir de Lamia Ziadé.

 

(1) Lamia Ziadé, interview pour Mediapart, 2020

(2) Lamia Ziadé, Mon Port de Beyrouth, p.105

(3) Idem, p.223

Lire et voir pour être un Français de l’Etranger aspirant à être citoyen libre

GUY DELACOUR

L’ouvrage récemment publié d’un spécialiste des relations internationales aussi reconnu que Bertrand Badie, – Les puissances mondialisées. Repenser la sécurité internationale (septembre 2021) -, est suffisamment riche et dense pour supporter plusieurs interprétations possibles. Sans exclusive d’autres, nous proposons la nôtre. 

Tout d’abord, réaffirmons combien lire les plus grands spécialistes des relations internationales est une nécessité absolue pour un Français de l’Étranger, citoyen vivant dans l’un des 49 pays de notre circonscription si riche, si diverse, si complexe, jusqu’au chaos. Le thème de la sécurité internationale est notre préoccupation à tous.

Encore faut-il disposer d’un panel suffisant d’analyses solides pour sortir des banalités du type de celles avancées par notre (hélas) députée locale. le schème directeur  de ce livre est de constater le « déni de réel » de la plupart de nos dirigeants quant aux évolutions et aux transitions nécessaires  entre, d’une part, une conception conservatrice, réactionnaire, obsolète, toujours enfermés dans la conception westphalienne des relations internationales, comme par exemple la géopolitique catastrophique de Macron en Afrique, - un véritable désastre pour la sécurité  internationale et pour la sécurité des Français de l’Étranger vivant en Afrique, une conception qui perdure et est défendue (faiblement et mal) par notre Playmobil macroniste locale-, et d’autre part la recherche de modèles géopolitiques plus adéquats au réel et à ses actuelles mutations. 

La débâcle de la politique africaine de Macron fait d'ailleurs curieusement écho à celle, future, de la politique arriérée et inacceptable de Poutine. On dirait une illustration vivante des analyses de Badie. Les politiques internationales de Macron comme de Poutine sont au fond identiques : une géopolitique de puissance, inadaptée aux évolutions du monde actuel. Elles sont destinées à s'affronter tant qu'elles ne sortent pas du schéma géopolitique suranné. Pour l'instant, la politique de Macron est de plus en plus massivement rejetée. Celle de Poutine ne devrait pas tarder à l'être aussi. Toutes deux nient le réel de l'Afrique actuelle. Notre diplomatie, pourtant potentiellement une des meilleures au monde dans ses compétences, doit hélas suivre les ordres de Macron.

L’échec pour la sécurité internationale de la politique africaine de Macron dans le Sahel est tristement total, particulièrement pour les Français de l’Étranger et binationaux vivant dans ces pays et proches, hors quelques profiteurs de crises, qui en subissent chaque jour les conséquences dans leur quotidien. 

Hélas, l’attente du bilan de faillite générale inévitable de ces gouvernements ne nous console pas des souffrances terribles subies par les peuples confrontés à ce déni de la réelle nécessité de cette transition dans notre politique de sécurité internationale.   On ne peut ici que songer à la réflexion de Gramsci : le nouveau monde est espéré, mais dans le crépuscule si prolongé du vieux monde géopolitique et de notre diplomatie, ce sont les monstres qui hantent et sèment les terreurs et les douleurs dans les espaces géopolitiques qui sont ceux qui nous accueillent, le plus souvent généreusement, pour nombre d’entre nous, Français de l’Etranger de la dixième circonscription. Ces sinistres acteurs de ce déni du réel si bien décrit par Bertrand Badie, combien de temps devrons-nous en souffrir, en subir les conséquences? 

De qui dépend un monde apaisé, si espéré par tous les Français de l’Etranger, et singulièrement dans notre circonscription ?  Où sont les voies pour une géopolitique de la sécurité internationale qui sorte notre France aimée du désastre par exemple de la politique macroniste en Afrique ? L’auteur esquisse bien des éléments de réponse, qui peuvent au mot près s’appliquer à l’Afrique du sahel par exemple : 

« […] un ordre à construire dépendant désormais davantage des comportements sociaux que des transactions intergouvernementales, des processus de décision en politique étrangère appelées à connaître des extensions nouvelles, plus intégratives que compétitives, et incluant mieux encore les acteurs sociaux dans leur diversité, au-delà des seuls acteurs étatiques. »

Ah ! Si un Bertrand Badie avait été davantage écouté par exemple en Afrique du Sahel lors de la définition des tâches de nos armées et de notre diplomatie, de nos acteurs sociaux et économiques, de nos institutions, de nos bureaucraties gouvernementales, des médias, combien les choses y seraient aujourd’hui différentes ! Il reste un espoir selon Bertrand Badie (même si de notre point de vue personnel, il semble se rétrécir de jour en jour), une voie vers un autre avenir de la sécurité internationale. C’est cette voie que Traits d’Union défend : 

« Après tout, les progrès les plus prometteurs aujourd’hui se trouvent dans les initiatives qu’on disait autrefois, comme pour les amoindrir, qu’elles « venaient d’en bas », et dont on considère de plus en plus qu’elles tiennent à l’activité des sociétés : lanceurs d’alerte, ONG mobilisant les opinions ou captant de nouvelles ressources, réseaux d’experts mettant leurs connaissanceS et leurs informations en commun […] »

Encore faudrait-il commencer par cesser la destruction macroniste de notre diplomatie, et la réorienter sur des bases qui refusent le « déni de réel » des évolutions du monde actuel, sortir  de la quête conservatrice et condamnée à la déroute d’une puissance de domination douce ou  pas, refusée légitimement par les peuples concernées, pour ouvrir une autre politique de puissance au service de cette transition mondiale nécessaire, pour une politique internationale de sécurité qui réussisse, réussite dont nous, Français de l’Etranger et binationaux souhaitant continuer vivre dans ces pays qui nous accueillent, avons impérativement besoin.

Lire et voir...
Un roman sur la Syrie

Un roman sur la Syrie actuelle.
Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux.

« À ton retour, ils avaient défoncé la porte,

Si bien que tu as fait un pas en avant, balayé la pièce du regard à toute vitesse

Et lorsque tu as vu ma robe laminée, 

Puis les pages déchirées de mes poètes russes

Tu t’es mis à genoux

Tu es tombé. 

[…]

Dans mon poing, chiffonnée, la page d’un poème d’Akhmatova. 

Elle s’y trouve encore. 

Tu l’as laissée, mon ange. 

Cela, ils n’ont pas pu le prendre. 

Ils n’ont pas pu le violer. 

C’est, lorsqu’une espérance expire

Qu’une chanson de plus s’élève. 

[…]

Et tu n’es plus revenu. 

Tu n’as plus revu la maison. 

Et moi, j’ai attendu, ; 

Chaque nuit. »

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GUY DELACOUR

C’est cette fois un écrivain belge qui écrit sur la tragique histoire actuelle de l’un des pays de notre circonscription, la Syrie. 

Le choix d’écriture est décisif. On sait le succès si mérité du regretté Joseph Pontus (décédé le 24 février 2021) qui, pour À la ligne, Feuillets d’usine août 2020), a recouru avec maestria au choix d’écrire un roman en vers libres. Cela a été une totale réussite pour dire ce qu’est la vie d’un ouvrier. Loin des sinistres et ennuyeuses formes de la littérature dite « engagée » des romans réalistes, même si, en leur temps, elles furent décisives pour l’histoire littéraire.  L’efficacité de ce choix est redoutable. 

C’est la même réussite que nous offre Antoine Wauters. Mahmoud ou la montée des eaux relève de la grande littérature, et son thème croisant vie individuelle, poésie, tragédies de l’histoire, guerre civiles et guerres géopolitiques, chaos, terreurs et terrorisme, tyrannies, catastrophes écologiques, guerres de l’eau, nous concerne nous Français de l’Étranger vivant dans notre circonscription.

Ce roman en vers libres met en scène un vieil homme qui rame dans une barque au-dessus d’une immense étendue d’eau générée par la construction du barrage de Tabqa. Ce barrage est célèbre pour plusieurs raisons. Elles sont évoquées dans ce roman. Nous ne pouvons les développer toutes. Barrage sur l’Euphrate, lié à l’histoire de la famille d’autocrates régnant en Syrie (lire le roman pour en apprendre plus) , il a failli être détruit par le sinistre Etat islamique qui a menacé de noyer toute la région, puis reconquis par différentes forces d’opposition. L’important pour notre roman est que le vieil homme plonge dans les profondeurs métaphoriques de cette étendue avec un masque et son tuba, et que cette plongée est en fait une plongée dans les thèmes cités plus haut. La maison de son enfance a été engloutie sous ce lac El-Assad, symbole des délires productivistes des régimes autoritaires, jusqu’à faire la guerre civile à leur propre peuple. Folies des hommes, folies de la guerre, folie des mensonges de la poésie dite « engagée », militarisée comme l’écrivait Benjamin Péret en 1945 dans Le déshonneur des poètes, d’ailleurs bien à l’encontre des poètes et romanciers syriens vivant sur place, on en peut moins dire ! Le vieil homme plonge donc, et s’enfonce à la fois dans l’obscurité et la nuit de l’histoire tragique de la Syrie et dans son propre passé. Le roman est traversé par la forme dialogique donnant par exemple la parole à l’épouse aimée, amoureuse de la poésie russe (et on comprend et ce n’est pas fortuit !) qui a été violée et assassinée par la soldatesque de la guerre civile à son propre peuple :

Combattre, nous, Français de l’Étranger, l’inattention pusillanime aux artistes actuels des 49 pays de la circonscription

Lutte Sociale
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Philippe Dagen, Directeur de recherches à l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art), spécialiste de l’histoire de l’art contemporain et actuel, par ailleurs critique d’art tenant une chronique dans Le Monde, a publié le 18 septembre 2022 un article Biennale de Lyon : la prospérité créative de Beyrouth, avant la guerre civile

https://www.lemonde.fr/culture/article/2022/09/18/biennale-de-lyon-la-prosperite-creative-de-beyrouth-avant-la-guerre-civile_6142150_3246.html

La Biennale de Lyon, qu’on peut visiter jusqu’au 31 décembre 2022, par exemple lors d’un séjour en France, pendant les vacances de fin d ‘année, héberge en effet une exposition intitulée « Manifesto of Fragility – Beyrouth et les Golden Sixties ». Le critique relève l’apport des deux commissaires de cette exposition à la connaissance de tout un pan de l’histoire de l’art contemporain encore trop ignoré :

« [Sam Bardaouil et Till Fellrath] participent [ainsi] à la révision de l’histoire des arts du XXe, […] en y ajoutant un chapitre nouveau ». 

Sans conteste ! L’invisibilisation des contributions des artistes du Liban à l’histoire de l’art se faisant est un inacceptable angle mort de notre culture en France, pourtant saturée d’expositions. Philippe Dagen relève d’ailleurs que les mêmes commissaires ont déjà cherché à rendre plus visible la participation de l’Égypte à la modernité artistique du Proche-Orient : « Arts et Liberté. Rupture, guerre et surréalisme en Égypte (1938-1948) ». Que Dagen ne dirait-il pas s’il avait pris le temps de rencontrer les artistes égyptiens qui ont réussi à faire vivre et exposer publiquement en Egypte un surréalisme actuel, en pleines années 2021-2022 ! Critique institutionnelle de l’art actuel, il pêche par les mêmes défauts qu’il dénonce…

En fait, ce sont véritablement des pans entiers de l’histoire des arts contemporains et actuels des 49 pays de notre circonscription qu’il faudrait sortir de l’invisibilisation pour réécrire une histoire de l’art contemporain et actuel. Certes, plusieurs chapitres de cette histoire sont rendus récemment plus ou moins visibles, notamment en Afrique. Mais combien de chapitres de cette histoire restent ignorés ! 

La Biennale de Lyon 2022-manifesto of fragility – Beyrouth et les Golden Sixties.

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Le Sang du phénix (The Blood of the Phoenix) » (1975), de Nicolas Moufarrege

Pour Philippe Dagen, qui reste tout de même plutôt enfermé dans une vision simpliste de l’histoire de l’actuel Liban, le constat est amer : Beyrouth comme scène artistique mondiale est morte depuis la guerre civile, et, de plus, est quasi invisible. 

« Nombre d’artistes (libanais) quittent le Liban, souvent pour la France »

C’est en effet un choix terrible pour les artistes du Liban, encore aujourd’hui : partir, ou rester.  

Mais le problème qui immédiatement surgit est que la culture française peine à voir ce qui est visible. Quant à lui, Traits d’Union propose à ses lecteurs de dépasser, dans les 49 pays qui nous accueillent, ce constat, en y publiant librement des articles sur leurs scènes artistiques. 

Le constat de ce professeur continue : 

« [les artistes désormais exilés] ne bénéficient pas d’une attention soutenue ».

Pour le moins ! En tout cas, il relève comme artistes ayant attiré son attention, notamment nombre d’artistes femmes, mais est-ce tant un hasard tant les dirigeants de cette société s'arqueboutent sur la perduration du patriarcat ? : l’art ne serait-il pas aussi une voie de résistance ? Juliana Seraphim, Dorothy Salhab Kazemi, Huguette Caland, Dia Al-Azzawi, et combien d’autres : l’art est en ce pays riche ! Nous renvoyons à l’article de ce critique d’art et à l’exposition elle-même.

GUY DELACOUR

Aide aux Enfants des Rues Congolais –Association d'aide par l'apprentissage et la formation des enfants des rues et des filles mères de la province d’Ituri, RDC

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En Ituri, les milices armées sont toujours en conflit. Leur souhait est de faire partir de la province des Casques bleus. Certaines factions rêvent d'une région indépendante. De nombreux morts auprès des civils sont à déplorer. Beaucoup d’enfants des rues sont enrôlés de force pour participer aux combats. Les filles les plus pauvres sont elles aussi enrôlées comme combattantes ou comme esclaves sexuelles.

Si vous souhaitez connaître la genèse du conflit et son actualité. (Conflit de l'Ituri -Ituri conflict - abcdef.wiki )

Nous avons créé notre association le 20 avril 2019 pour soulager la vie de ses pauvres enfants errant dans les rues de la ville de Bunia. Le 17 janvier 2021 nous accueillons les premiers enfants. Durant ces 19 mois nous avons pu héberger, nourrir, habiller, scolariser 14 enfants venus de la rue, créé un jardin et un atelier de couture qui forme 20 filles mères. Pour le loisir des enfants, nous avons monté une équipe de foot.

Nous comptons sur vous pour aider ces enfants très défavorisés. Les milices May-May ne sont pas très loin de Bunia, s’ils retournent à la rue, ils ont de grandes chances de finir enfants soldats et les filles de rentrer dans la prostitution.

Pour nous connaître voici le site : Aide aux Enfants des Rues Congolais –Association d'aide par l'apprentissage et la formation des enfants des rues et des filles mères de la province d’Ituri, RDC. https://ceaerfm.org/

 

Pour nous aider financièrement, c’est ici : évitons qu'ils retournent à la rue - CotizUp.com https://www.cotizup.com/enfants-des-rues-rdc

Aide aux enfants
Dossier

Pensée critique et révolutions citoyennes dans notre circonscription 10 des Français de l’Etranger et binationaux : étude des livres récemment publiés

La démocratie sous les bombes;Syrie–Le Rojava entre idéalisation et répression, Sous la direction de Pierre Crétois et Edouard Jourdain (Août 2022)

Achille Mbembe, intellectuel critique camerounais, dont chaque publication et interview doit selon nous être lue avec attention, même si on n’approuve pas ses analyses, a déclaré il y a quelques jours combien pesait sur les perspectives actuelles de son continent aimé, L’Afrique, le « déficit de pensée originale sur la démocratie » et que « Le recul de la démocratie sur le continent est donc aussi le résultat d’une formidable atonie intellectuelle ». « Or, en l’absence de nouveaux flux d’idées, de nouvelles manières de penser et d’apprendre ensemble, le culte de la force et de la brutalité prévaudra et les modèles autoritaires chinois, russe ou turc continueront d’éblouir les esprits. À court terme, ces cautères sur jambes de bois que sont les milices, juntes militaires et mouvements islamistes apparaîtront  à tort comme  des solutions à des problèmes en apparence intraitables »

 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/10/05/achille-mbembe-le-recul-de-la-democratie-en-afrique-est-aussi-le-resultat-d-une-formidable-atonie-intellectuelle_6144572_3212.html= 

Certes, Traits d’Union cherche pour sa part à agiter la possibilité d’une telle pensée critique et à en partager les fruits. Selon nous, une voie possible est de considérer qu’en effet, la créativité et la pensée critique ont déserté (mais y fût-elle jamais si présente, hors les apports et conséquences indirectes des révolutions citoyennes ?) les oligarchies régnantes sous des formes diverses dans les 49 pays de notre circonscription et celles croyant diriger actuellement  la France, alors que c’est l’incurie généralisée, l’injustice, l’impréparation et le déni qui les caractérisent dans leur gestion non maitrisée et erratique du pouvoir d’agir, structurée seulement par une idéologie néo-libérale obsolète  (son inaction climatique en est une manifestation flagrante parmi tant d’autres). Il faut donc chercher cette créativité tout ailleurs, dans les révolutions citoyennes, quelles que furent et sont par ailleurs leurs limites externes et internes, leurs échecs, impasses, inachèvements, répressions, destructions par la violence et la mise en place de régimes au mieux autoritaires.  Et pas dans des « fondations de l’innovation pour la démocratie », dont le titre même, très ambigu, n’est pas sans faire sentir in fine son programme de startupisation de l’Afrique et de l’impulsion d’une nouvelle mutation du capitalisme néo-libéral en Afrique, de son extractivisme prédateur et ordonné par le capital financier mondialisé hystérisé. Achille Mbembe a oublié une prudence de la pensée critique : la phronesis grecque. Dans les circonstances françaises présentes, elle serait de se tenir à distance des organismes improvisés, et impulsés par l’actuel gouvernement macroniste, qui ne saurait offrir la solution, car il est une partie du problème.  On sait aussi le destin d’« Illusions perdues », au mieux d’indifférence combinée à des flatteries hypocrites qui ont été réservées dans le passé à ces consultations.  Un penseur comme Castoriadis, démontrait par l’histoire de la pensée philosophique, que la pensée critique ne peut pas développer ses ailes dans le destin de conseiller des princes et des tyrans de toutes les époques. La pensée critique n’a rien à gagner à fréquenter les antichambres des salons élyséens et du macronisme, ou de concéder à son emprise sur les institutions et les bâtiments cossus des fondations multiples, déjà bien nombreuses. Les déboires de la pensée critique ont été récurrents quand, dans l’histoire ancienne comme récente, elle a fait ce choix, même quand il s’est agi pour un Aristote de vouloir enseigner à un Alexandre.  Les réseaux d’intellectuels critiques et citoyens mobilisés sont certes nécessaires à une revivance de la démocratie, mais pas dans ces conditions.     

Nous commençons notre exploration des références les plus récentes publiées sur les révolutions citoyennes dans les 49 pays de notre circonscription par une étude du Rojava, une révolution citoyenne actuelle qui a maintenant atteint une décennie de durée, ce qui est remarquable, d’autant plus dans la zone concernée. 

L’ouvrage, tout récent (août 2022) est en fait issu d’un colloque universitaire tenu en novembre 2021, et consacré au Rojava, c’est-à-dire au Kurdistan syrien.  Ce livre ressort de la masse devenue conséquente des publications sur le Rojava de par son positionnement, qui est ici le nôtre : ni l’idéalisation de cette révolution citoyenne, ni sa diabolisation préparatoire de la répression ou d’un laisser-faire de cette dernière. Son titre exact est La démocratie sous les bombes. Syrie – Le Rojava entre idéalisation et répression. 

Le sommaire est divisé en sept parties rédigées chacune par des contributeurs différents :  Introduction ; Pouvoirs et contre-pouvoirs au Rojava, Autorité/avant-garde/autogestion : une tension incomprise dans la révolution confédérale ; Leader masculin d’un mouvement féminin ; les Meclîs Ruspî au Nord Est de la Syrie ; la vision du Rojava en France; Entre mobilisations et proscriptions. Et une Postface constituée de Témoignages et réactions. 

Les kurdes syriens ont su développer une révolution citoyenne au sein d’un pays vivant une terrible guerre civile du tyran Bachar el-Assad contre son peuple ayant tenté de le renverser, une guerre civile chaotique intriquée aux interventions de toutes les puissances ancrées dans une logique de domination des complexités géopolitiques de la région : USA, Russie, Turquie, puissances secondaires comme les puissances européennes à même de jouer un rôle militaire, acteurs puissants de la péninsule arabique. 

Dans ce chaos croissent et décroissent selon les aléas militaires et politiques des puissances islamistes fascistes et terroristes comme l’EI, Daesh, dans une course mortifère et monstrueuse. Les souffrances des peuples de la Syrie sont terribles et la masse des réfugiés phénoménale. Ce chaos démultiplie les déséquilibres géopolitiques. L’insécurité est générale, l’avenir est totalement imprévisible, toutes les décisions de la révolution citoyenne doivent être prises sans certitude, et aucune théorie unifiée ne peut faire rêver d’aider à faire face à ce chaos que personne ne contrôle ;  les ennemis des révolutions citoyennes essaient de tirer les marrons de ce feu, de cet enfer pour les peuples, dans le but d’affermir ou de développer leurs  dominations  comme objectif de puissance, objectif de puissance défini dans un cadre suranné et dépassé  par le réel (cf. notre article dans ce Traits d’Union sur l’ouvrage d’un  professeur en relations internationales : Bertrand Badie, Les Puissances mondialisées. Repenser la sécurité internationale (septembre 2021).  

C’est dans ce sombre tableau qu’une opportunité s’est présentée aux longues luttes des kurdes syriens et leur longue quête d’un territoire autonome, quête accélérée en 2011. Ils ont innové et donné naissance à une création social-historique originale, particulière, une véritable invention plus pragmatique que doctrinaire, relevant de la praxis politique au sein des révolutions citoyennes à travers le monde et d’un noyau de significations imaginaires centrales.  

L’opportunité saisie date de juillet 2012, les troupes sinistres de Bachar el-Assad ayant fait un retrait tactique pour se concentrer sur leurs objectifs de survie de la dictature et leur lutte contre l’ASL, (l’armée de libération syrienne), qui, elle, faisait de son côté alliance avec la Turquie anti kurde et renvoyait alors au mieux les besoins politiques kurdes à un futur postérieur à la prise du pouvoir, un objectif secondaire et à la marge, un effet collatéral remis à plus tard, ce qui ne pouvait être accepté par les Kurdes : « [Ceux des Kurdes défendant leur propre révolution citoyenne, ni,   selon nous, modèle, ni à idéaliser, ni à diaboliser] contrôlent (alors) le Kurdistan syrien, appelé el Rojava, constitué de trois cantons autonomes : Afrin, Kobané et Cirizé. Il est occupé par une partie du peuple kurde qui, réparti sur quatre États (la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Turquie), constitue le plus grand groupe ethnique sans État (plus de 3.5 millions de personnes). Mais cette confédération transcende les clivages religieux et ethniques : on y retrouve des Arméniens, des Turkmènes, des Arabes sunnites,des Tchétchènes, des Yézedis, etc., sur une zone de 18 300 kilomètres carrés. n 2016, la population administrée par le Rojava compte selon les sources environ 2 millions d’habitants [ou plus, selon d’autres sources qui évoquent le chiffre de 6 millions, mais cela se répercute évidemment sur les chiffres totaux des Kurdes de la région, puisque] Près de 60 % de celle-ci est kurde. »

 Le document écrit à connaître pour comprendre cette création sociale-historique originale est la Charte de 2014. Elle est en cours de révision pour faire face aux évolutions réelles et aux difficultés d’application. On peut la trouver sur le lien suivant :  

 

https://blogs.mediapart.fr/maxime-azadi/blog/091114/le-contrat-social-de-rojava.

Le nom donné à cette création sociale-historique est « confédéralisme démocratique », une conceptualisation qui a été opérée, en dialogue avec Murray Bookchin, par Abdulla Ocalan, leader du PKK, âgé maintenant de 73 ans, emprisonné en 1999 à vie par le gouvernement turc. Un Antonio Negri le qualifie de « Gramsci du Kurdistan ». Depuis 2014, il a été soumis à un isolement total, seulement rompu par la courte visite annuelle de proches familiaux et réduit à des communications minimales, comme l’affirmation transmise par sa famille que cette guerre entre Turcs et Kurdes ne peut être gagnée par aucune partie, et que le plan de paix est prêt et faisable en six mois, si la Turquie le veut. Mais elle ne le veut pas.  Cette absence/présence a fait croître son leadership charismatique au sens de Weber, un leadership et une aura déjà acquis dans les précédentes décennies : un leadership de chef militaire et dirigeant politique avant son arrestation, ensuite, jusqu'à l’isolement total, un leader définissant la doctrine, enfin, après l’isolement total,  un leader absent/présent, symbolique, référence commune qui garantit et cimente une unité du mouvement pourtant traversé de tensions entre la théorie et la pratique dans un contexte d’insécurité, de rapports de forces internes au mouvement, d’incertitudes permanentes et de grandes souffrances. Sur le terrain, cette absence/présence du synthétiseur/leader charismatique et mythifié génère une marge de liberté conflictuelle entre ces composants quant à la manière d’appliquer son cadre doctrinaire dans un contexte sans cesse en évolution.  

Le « confédéralisme démocratique » est une nette rupture avec le marxisme-léninisme-maoïsme du passé de ce leader : la conquête des sommets de l’Etat-nation, et encore moins la constitution d’un Etat-nation kurde n’est plus l’objectif. Dans la pratique construite/improvisée au Rojava, la démocratie « confédéralisme démocratique » se veut en réel et non plus seulement théorique. 

Le “confédéralisme démocratique » est au Rojava un consensus, jusque dans la forme politique qui fait congruer les impulsions de la démocratie directe, un « municipalisme » horizontal de 4000 communes et ses « maisons du peuple » (municipalisme trop vite qualifié de libertaire, alors que sa formulation par Murray Bookchin pour l’essentiel après sa rupture avec les mouvements libertaires et anarchistes), la démocratie représentative, majoritaire dans nombre d’assemblées exécutives et législatives, un gouvernement censé surtout administrer, la répression (des dizaines de milliers d’opposants à la révolution, et autres, dit-on,  y sont emprisonnés. Le peuple se faisant peuple n’est pas la population, qui, elle, comprend y compris les refus, résistances ou non implications dans cette révolution citoyenne. Est peuple ceux qui adhérent ou concèdent au projet et au noyau de significations imaginaires centrales), une armée structurée et hiérarchisée qui n’a rien à voir avec les milices libertaires de par exemple celles de la révolution espagnole, le contre-pouvoir par la forme politique « mouvement » au proto-État (contre-pouvoir malheureusement à ce jour pas si efficace dans ses résultats, selon cet ouvrage) de la plateforme du mouvement populaire qu’est le Mouvement de la société Démocratique (TEV-DEM), une réarticulation de la propriété privée non déclarée ou visée dans son abolition et la bureaucratie qui en a été générée, réarticulation priorisant économiquement les « communs » et le vivre-ensemble comme objectif, et concevant l’économie comme devant s’appuyer sur le municipalisme, le local dans le contexte d’insécurité généralisée et de fuite avec leurs moyens de production industrielle des capitalistes  et du réseau bancaire en Turquie (il n’y pas par exemple de système bancaire dans le Rojava actuel, ce qui complique entre autres l’acheminement des aides internationales), une priorité donnée aux modes de production, pratiques et circulation des savoir-faire locaux et même traditionnels de par leurs capacités à satisfaire nombre de besoins décisifs, une économie vue  comme une coordination au service de ces communs, l’articulant à la forme coopérative, l’associative et  leurs affines multiples,  une priorité  absolue donnée au féminisme et une forte sensibilité aux luttes contre les discriminations et à la défense des droits, priorité  qui écarte tout fondement solide à l’identification de cette société à une dictature militaire, le refus de la forme nation/État, mais aussi le choix de la forme d’un parti kurde révolutionnaire dominant  et dans lequel une éthique est déclarée fondamentale, une écologie sociale encore peu efficiente vu la guerre et l’insécurité permanente, autrement que dans des modes de cultures et des partages de pratiques notamment agricoles et de subsistance, une éducation publique au vivre ensemble linguistique, une affirmation de la  liberté culturelle et artistique, le droit des langues et une laïcité, sans le  mot perçu comme liberticide et anti-religieux, une réarticulation ayant définitivement rompu avec le « d’abord arriver au pouvoir par la révolution historiquement nécessaire par la contradiction entre le développement des forces productives et la forme politique de défense de la propriété des moyens de production, pour les femmes et pour les besoins  d’autonomie, pour les superstructures, etc., on verra après » du marxisme historique réel qui devint dans l'histoire réelle l’instrument recadré de puissances nationales recouvertes à l’occasion d’un vernis internationaliste et cherchant la domination sur leur(s) peuple(s) et l’expansion de leur zone de pouvoir totalitaire. 

C’est en fait bien plus un paradigme inspirant pour un consensus citoyen pratique, autant que faire se peut dans de telles conditions, et un noyau de significations sociales imaginaires structurant et faisant circuler des valeurs parfois en tension, voire contradictoires, plus qu’un système un tant soit peu achevé autrement que dans les mots et dans l’idéologie. La forme politique du confédéralisme démocratique choisie par cette révolution citoyenne du Rojava est une des formes politiques manifestes des courants qui constituent l’effort de praxis vers la visée de l’écosocialisme au sein de plusieurs révolutions citoyennes. 

À la place de la Nation-État, on a la nation démocratique, donc multilingue, multireligieuse, multiethnique et multiculturelle. L’équivalence entre nation et État devient ici un abus. Ce sont deux formations différentes. Le paradigme donc, du confédéralisme démocratique fonctionne bien par la recherche du consensus ; ou du moins le vise ouvertement. 

« […] injuste avec les différentes composantes du peuple syrien, le régime tyrannique de l’État-nation  a conduit à la destruction et à la fragmentation de la société. Pour mettre fin à ce chaos, et faire face  aux enjeux à la fois historiques, sociaux et nationaux en Syrie […] Le système fédéral démocratique consensuel garantit la participation égalitaire de tous les individus et tous les groupes sociaux à la discussion, à la décision et à la gestion collective », déclare le préambule de cette charte. 

Si celle-ci a des éléments constitutionnels, ce n’est pas l’élection d’une constituante qui constitue ici le peuple. C’est une intéressante nuance par rapport à d’autres propositions théoriques, comme celle de Jean-Luc Mélenchon et sa théorisation de l’Ère du peuple dans les révolutions citoyennes, théorisation dans laquelle la constituante joue un rôle décisif comme forme-processus du peuple se constituant comme peuple autour d’un noyau imaginaire de significations sociales comme les communs et la règle verte. La distinction n’est d’ailleurs pas en opposition frontale avec les théorisations programmatiques de la France Insoumise inspirées par les propositions de Jean-Luc Mélenchon. La justification théorique de cette absence au Rojava du processus de la constituante comme forme du peuple faisant peuple, exerçant sa possibilité de déterminer lui-même ses lois et non de confier sa validation à une autorité hétéronome, par exemple la religion, le marché, la tradition tribale ou autre, etc., est que la constituante est une forme politique trop liée à cette abusive fusion entre l’Etat et la nation. 

Un autre aspect plus profond émerge cependant maintenant que les révolutions citoyennes et leurs processus dynamiques en cours dans le monde, (avancés, freinés ou suspendus, ou réprimés) sont observables dans leur praxis, notamment tout récemment ce fait de l’échec électoral de la constituante chilienne. Il n’y a pas d’automatisme de constitution d’un peuple en peuple décidant librement de son « nomos », qui se ferait mécaniquement après la conquête électorale du pouvoir des sommets de l’Etat ; le processus d’une convocation d’une constituante une fois le pouvoir obtenu par la démocratie représentative ne le garantit pas, voire le ralentit dans certains cas. Cette conquête de sommets de l’Etat-nation par l’accès à une majorité de la démocratie représentative, conquête traduite par la décision d’une convocation d’une constituante n’est pas automatiquement ce qui fait peuple au sens vu. La voie prise par la révolution citoyenne du Rojava ouvre selon nous ce questionnement. 

Ce n’est en rien que cette révolution citoyenne devrait faire modèle. C’est que son authentique étude, comme de toutes les autres révolutions citoyennes, participent aux questionnements qui s’ouvrent à nous et nous enrichissent politiquement, et ne peuvent in fine n’être résolus que par la pratique réelle, les processus d’émancipation réels du « collectif anonyme » du peuple se constituant comme peuple autonome décidant de son destin et créant à chaque fois ou cherchant à créer sa propre et particulière réalité sociale-historique, inimitable ailleurs. 

C’est une chance considérable en un sens que notre circonscription ait été et soit le théâtre de tant de formes variées de révolutions citoyennes. Nous avons beaucoup à apprendre d’elles. 

L’autorité qu’est « l’Administration autonome du nord-est de la Syrie » (l’AANES) doit en principe se réduire dans son rôle administratif, et ne pas investir tous les niveaux et se les subordonner. Ainsi, elle ne doit intervenir qu’en dernier ressort sur maints sujets tranchés par le communalisme réel, qui doit être autonome dans ses choix et ne pas les déléguer aux gouvernants à la tête du proto-État.

Si la forme étatique est réclamée par nombre d’autres mouvements citoyens, notamment pour créer les services publics dans des pays où leur absence généralisée rend perméables les sociétés aux solutions illusoires des régimes autoritaires et à l’emprise des sociétés par la terreur fondamentaliste, comme le dit Achille Mbembe (cf. plus haut), il s’agit dans la révolution citoyenne du Rojava de tout autres choix politiques. 

De ce point de vue, ce livre coordonné par Philippe Crétois et Édouard Jourdain souligne maints aspects de la révolution citoyenne du Rojava qui méritent notre attention et nourrissent nos questionnements. 

Ainsi, la transformation sociale au cœur de cette révolution citoyenne affirme la nécessité de la « transformation de soi ». Nous ne sommes pas ici dans les théorisations du marxisme réel (comme dans sa variante le néo maoïsme terrifiant et terreur organisée), ou les idées néo-libérales, dans lesquelles les logiques de l’intérêt et de la domination, de la classe (marxismes) ou de l’individu (néo-libéralisme), sont au centre du noyau des significations imaginaires et seraient émancipatrices. Ce n’est pas non plus qu’elles soient des théorisations libertaires/anarchistes, comme c’est parfois abusivement défini à partir de l’incompréhension de l’influence des idées indirectes de Murray Bookchin sur le leader du PKK, Murray Bookchin ayant pris ses distances et rompu avec le mouvement libertaire et anarchiste, on l’a vu plus haut.  

Non que ces idées disparaissent totalement dans les significations imaginaires du noyau central de cette révolution ; Il ne s’agit pas de cela, mais de dire et séparer ce qui est structurant et fondement, de ce qui est moins signifiant, comme il faut selon nous le faire face à  tout noyau d’imaginaire d’une authentique et particulière création sociale-historique, de caractériser ce qui est original à cette révolution citoyenne en process et traversée par des tensions internes autant que par  les terribles complications  d’un contexte géopolitique pour l’essentiel hostile, sauf lors de quelques compromis provisoires. Nous avons bien dans le Rojava une très particulière création social-historique, une révolution citoyenne qui a de fortes singularités, et qui est par ailleurs observable depuis déjà une décennie. Que sont au juste ces « transformations de soi » ? Ce sont des sublimations sociales imaginaires, mal comprises par nombre de mouvements occidentaux les idéalisant à leur tour et évacuant toute tension interne à la révolution au Rojava, ou les renvoyant à l’inverse à une fabrique d’illusions. 

Elles ne viennent pas non plus d’une table rase du passé, et peuvent être vues comme s’appuyant sur des traditions historiques de résistances très anciennes dans ces régions du monde.  Ainsi :

« Les militants ne prônent pas toujours une rupture nette avec les traditions. Il leur arrive [par exemple outre l’impulsion donnée par la doctrine] de jouer sur leur ambiguïté intrinsèque [aux traditions] pour en tirer parti. Ainsi, les pratiques religieuses schismatiques, hétérodoxes ou mystiques au sein de l’islam ainsi que du christianisme sont considérées comme des formes de résistance sociale face à des crédos religieux vidés de tout sentiment et sclérosés par les hiérarchies institutionnelles et une législation rigide. La loyauté envers la communauté ou les liens du sang, à l’exclusion de ce que l’on considère comme des perversions patriarcales, est valorisée comme une forme de résistance à la fragmentation aliénée et nihiliste des relations sociales dans un monde régi par l’intérêt nu et les contrats. Les usages et les coutumes des populations du désert, de l’agriculture ou de la montagne, ou de certains quartiers populaires à la périphérie des villes, sont conçus comme formes d’opposition concrètes, éventuellement inconscientes, à l’aliénation de la structure sociale urbaine et métropolitaine. », affirme Davide Grasso. Il est vrai que nombre de révolutions citoyennes présentent cette caractéristique, par exemple au Sri-Lanka. 

Le noyau imaginaire de la transformation de soi se dynamise autour du militant combattant et reconstructeur, de la militante féministe anti patriarcale et combattante les armes à la main, militants et militantes qui doivent maintenant savoir reconstruire, à partir  du rapport au leader présent/absent, et à un niveau supérieur autour du rapport aux martyrs (on parle de 11000 martyrs, ce qui, si l’on part sur l’hypothèse de 2 millions d’habitants du Rojava, par exemple pour la France, représenterait plus de 320 000 combatants ayant donné leur vie, notamment contre Daech). Si les militant.e.s de cette révolution ont une autorité épistémique reconnue, une expertise technique (par exemple celle de la combattante armée des unités de protection féminine-YPG), une compétence relationnelle décisive d’autant que la société est complexe et la population réduite en nombre dans le communalisme et ses milliers d’entités à travers lesquelles ils/elles sont un agent de circulation, il s'y superpose un travail sur soi car l’autorité acquise, c’est avant tout sous  condition que ces expertises épistémiques et relationnelles  soient vues et reconnues comme mises au service du bien commun, sinon, l’autorité est perdue. Le décisif devient ici non l’idéologie pour ceux qui valorisent cette autorité, mais ce que le/la militant.e a réussi à faire réellement et concrètement pour ce bien commun, combiné à une éthique. 

À l’autorité épistémique et pratique qui ne sauraient suffire, le complément d’une autorité morale dérivée de l’exemple et de la conduite est donc nécessaire dans les significations imaginaires centrales de la révolution citoyenne à Rojava ; cette autorité morale « ne peut être que le fruit d’une transformation intérieure de l’individu. Cette dernière ne peut être obtenue que socialement ». Cette caractéristique se retrouve dans d’autres révolutions citoyennes. On peut ici noter par exemple l’insistance sur ce point dans le discours dans le discours et la vie d’un Pepe Mujica, acteur référent devenu symbolique de la révolution citoyenne uruguayenne, et ancien président de ce pays. Cette transformation individuelle/sociale de soi se fait par des pratiques éducatives, éthiques, appuyée sur une nouvelle compréhension théorique acquise, même si la conscience ne génère aucun automatisme dans l’invention de nouveaux comportements et peut se déplacer à tout moment vers ceux d’une non-autorité en ce sens, vers une autorité/domination.  Cette conscience se développe par une recherche, par l’autocritique, du dépassement de la culture de domination dans laquelle on a été élevé, dont le patriarcat est une caractéristique exemplaire, tout comme la mentalité capitaliste de l’avoir, de l’égoïsme et de l’insignifiance.  La lutte contre les partis et organisations, y compris les organisations armées, ne devient plus qu’une conséquence et non l’origine première.  

L’amitié publique, révolutionnaire, distincte de l’amitié privée, la philia de la démocratie grecque et du germe qu’elle a été pour les révolutions citoyennes dans l’histoire joue un rôle essentiel dans cette transformation de soi. Elle congrue avec la tradition du don et du contre-don, dans le cadre d’une très forte culture du sacrifice, qui demeure dans maintes relations sociales de cette région, tissant un réseau de reconnaissance, de valorisation et d’obligations. La tension interne à cette transformation vient de la crainte intériorisée d’y produire de nouvelles formes de domination, ce que tant de révolutions ont fait. La tension est ce combat intérieur et extérieur. Elle peut être surmontée en s’appuyant sur « le réveil des instincts insurrectionnels du peuple dans un avenir imprévisible ». De par la philia pratiquée jusque dans la langue kurde et ses trois principaux dialectes, par un lexique qui fait forme de ces tensions (lexique que nous ne pouvons présenter ici) de par cette égalité nettement affirmée dans la transformation de soi et dans la recherche des consensus sociaux extérieurs. 

Le rapport au leader est profondément modifié dans sa nature ; il ne ressemble plus aux fidélités mortifères et/ou intéressées des baasistes envers un dictateur comme Bachar el-Assad, dans lesquelles la notion d’égalité est absente ou très marginale. L'égalité dans le rapport au leader est essentielle dans l’imaginaire des militants du Rojava. Dans les significations essentielles qui cimentent le noyau central de l’imaginaire de cette création sociale historique si singulière, cette révolution citoyenne, si particulière, et de cette transformation de soi, au-dessus de ce rapport au leader, face aux agressions extérieures dans une situation d’insécurité généralisée à tous les  aspects de la vie, il y a au-dessus de tout, même du leader, le rapport sublimé aux dizaines de milliers de martyrs kurdes qui ont, eux, plus qu’avoir seulement sacrifié leur liberté, donné leur vie,  par mort soit dans les prisons, des grèves de la faim aboutissant à la mort, dans les combats armés. Une création sociale-historique s’invente autant par la présence institutionnelle et intériorisée de ses morts que par celle des vivants, et est faite des deux. 

Le féminisme kurde contient une tension interne originale. Qui n’a pas remarqué l’omniprésence des photos du leader, un homme, dans les réunions de femmes mettant en acte le féminisme de cette révolution citoyenne ? Un homme pour lequel les militantes féministes aspirent souvent à se sacrifier s’il l’était possible : “Je cherche mes mots pour le décrire (Ocalan). J’ai toujours désiré être un petit moineau volant vers l’Ile d’Imarali [où est totalement isolé le leader], juste pour lui dire un mot en face. Cela me fait sentir forte [...] Je n’ai jamais vraiment bien pu décrire le leader, je suis si petite à ses côtés", déclare une combattante du PKK s'étant rendue au Rojava en 2015. On peut aussi lire le mémoire de master de Florence Bateson, soutenu à “L’Académie des langues” de Derik dans le canton de Cirize au Rojava, qui explore ces aspects et leurs significations : “ Just warriors and Beautiful Soul”. 

C’est ce lien des combattantes kurdes féministes au leader homme que veut éclairer la contribution de Somaye Rostampur « Leader masculin d’un mouvement féminin. Quel impact sur l’idéologie et la pratique des femmes du Rojava ? ». Mais là encore, il faut éviter les écueils symétriques de l’idéalisation et de la diabolisation de cette révolution citoyenne spécifique. 

Tout d’abord, prenons les niveaux d’interprétation les plus simples.  La position du leader, Öcalan, passé de leader politico-militaire à élaborateur d’une doctrine après son emprisonnement, est claire : 

« La libération des femmes est prioritaire à celle de nation et de classe. »  (Abdula Öcalan, Liberating life). 

Une alliance s’est ainsi faite entre ce leader et le mouvement féministe kurde et turc dans les rapports de forces internes au mouvement. Ainsi, quand le leader a voulu mettre un terme aux activités militaires contre l’Etat turc, ou quand il a recherché un accord de paix avec la Turquie, les résistances internes étaient, en 1999, avant son arrestation, loin d’être négligeables. L’alliance nouée avec le mouvement féministe a pesé, même si elle fut aussi critiquée en interne comme trop radicale et trop en alternative erronée aux alliances avec certains pans de la bourgeoisie. De plus, cette position doit être contextualisée également dans la longue lutte des femmes pour faire valoir leurs droits dans le mouvement, une lutte active et historique. Les écrits doctrinaires du leader ont véritablement apporté le prestige mythifié de son leadership dans les rapports de force internes pour faire évoluer la situation. Ces écrits, datés d’avant la mise à l’isolement total pour leur circulation, se doublent d’une tradition orale sur sa personnalité particulière, ses transformations intérieures antérieures (mises en récit dans son autobiographie) sous l‘influence de sa proximité revendiquée avec les féministes, détonnaient dans ces milieux d’alors et des transformations de comportements nécessaires et validés par le charismatisme du leader emprisonné, devenu présent/absent depuis son isolement total : 

« À l’époque de l’installation d’Apo (Öcalan) en Syrie, il n’autorisait pas les guérilleros féminins à faire le ménage ou la cuisine et insistait sur le fait que les hommes cadres devaient le faire, et les guerriers masculins s’y opposaient […] »

Ces positions d’autorité doctrinale (cf. la distinction plus haute entre autorité et domination) étaient et sont loin d’être si partagées par tout le mouvement et tous ses cadres. Citons deux faits exprimant de graves tensions. Toujours en 1999, le Comité Central du PKK a refusé la demande d’autonomie organisationnelle des femmes (un « parti des femmes du Kurdistan »), pourtant accordé avant son arrestation par Abdullah Öcalan. Le refus s’est fait sous l’argument du besoin d’unification du parti.  Comme les cadres des militantes féministes ne pliaient pas, elles ont été retenues en otages dans une vallée pendant près de trois mois (c’est la sanction de la prison à l’air libre), puis punies et démises de leurs fonctions, et remplacées par celles choisies par les hommes. Plus tard, quand une nouvelle réglementation interne se met en place visant à déplacer la centralisation autour du leadership d’Öcalan vers sa centralisation dans le conseil présidentiel du PKK (majoritairement masculin lui aussi, avec quelques avancées depuis vers la parité), une sorte de soulèvement interne eut lieu : en tant que représentantes du mouvement des femmes kurdes, une vingtaine se sont coupé les cheveux en 2000. La sanction a été encore une fois l’emprisonnement à l’air libre dans une vallée, et l’accusation grave de trahison. 

En bref, l’aura prestigieuse du leader a certes validé en interne la position féministe, mais cette position est autant le fruit des luttes et des élaborations passées et présentes des militantes féministes, et tout cela est loin d’être idéalisable en une absence de tensions internes. Mais, également, cela a porté ses fruits dans le rôle décisif du féminisme dans la révolution citoyenne du Rojava, et ses expansions dans le mouvement kurde transnational. On peut ici songer à la contribution importante des femmes kurdes iraniennes dans l’actuel mouvement des en Iran, sa radicalité et son audace qui le caractérisent face à une théocratie militaire, répressive et arc-boutée sur le maintien à tout prix de sa domination sur une société bouleversée par des évolutions irréversibles.   

Somaye Rostampur tente dans son analyse de confronter ces particularités du contexte historique avec les grilles de lecture du féminisme radical occidental. Elle remarque que la réception de la masculinité du leader et de son soutien au féminisme dans les rapports de force internes à considérer Abdullah Öcalan comme un être d’exception, désexué. Ce qui est confrontant pour le courant occidental:

« Avin, une autre combattante, le redit avec d’autres termes : « Tout le monde nous demande « Pourquoi un homme est votre leader ? » Öcalan est celui qui a tué sa masculinité. Il ne se considère pas comme un homme. Il a dépassé la virilité ; » S’identifiant comme neutre, le leader se permet subséquemment de se désigner comme un expert du genre et d’indiquer aux femmes ce qu’elles doivent faire et ne pas faire ou en leur donnant des leçons, comme un acte normal et accepté. Pourtant « les dominants (socialement) oublient de ses situer comme dominants, c’est d’ailleurs le propre des dominants de parler en termes soi-disant « neutres », « objectifs », et « universaux ». […] 

« Bien que le leader ait eu un rôle déterminant dans l’avancement du mouvement des femmes kurdes, ce sont elles-mêmes qui ont pris l’initiative d’abord au sein du PKK, et puis au Rojava [obtenant par exemple une politique de « co-gouvernance » dans l’Assemblée législative du Rojava, pour au moins 40 %, avec une autorité égale à celle d’un homme. « Bien que cette modalité soit proposée par le leader, ce sont les femmes qui l’ont légitimée, stabilisée et impliquée. ». Elle note aussi, vu cette situation si particulière dans cette révolution féministe en process, qu’il existe un « sentiment de culpabilité », associé dans une économie émotionnelle forte dans le rapport au leader : « C’est une sorte de double légitimité pour lui, comme s’il avait une grande affection pour les femmes qui devraient lui être reconnaissantes. Par conséquent, toute remise en question du statut symbolique d’Öcalan est difficile et restreinte à une « critique bienveillante » : 

« […] la critique au sens théorique, quand elle peut porter sur les idées du leader doctrinal du Rojava, est quasi absente […]. À cet égard, Sandra Hardfing a raison pour dire qu’« il est important d’empêcher les hommes d’avoir la prétention de pouvoir prendre en main le contrôle de la recherche féministe de la même méthode qu’ils prennent la responsabilité de tous les choses importantes du pays. » Si le projet d’Öcalan concernant la cause des femmes n’est pas en soi illégitime, ce qui pose plus de problème, c’est la place qu’il s’y confère. Alors que manifestement, il n'y connait pas grand’ chose et socialement, il est placé dans la position du sexe dominant. […] Ce contrôle conceptuel de la question du genre laisse très peu de place aux féminismes kurdes extérieures au mouvement dont les apports critiques peuvent enrichir la construction des savoirs féministes kurdes. »

Mais elle affirme qu’il faut prendre en considération le re-travail par les militantes qui lisent les textes d’Öcalan au filtre de leur propre expérience. En ce sens, le féminisme à Rojava relève, plus que de la seule doctrine du leader, de l’interaction entre les différents acteurs : « Nous sommes dans la pratique qui se nourrit de la théorie mais qui a aussi sa propre dynamique et qui est transformatrice ». Deux exemples donnés sont « l’Académie des femmes », et, à l’extérieur du mouvement politique, un village entièrement géré par les femmes sur la base pratique de leurs expériences des violences, et non vraiment sur la base de la théorie doctrinaire. 

Elle note également que, dans les dernières évolutions du féminisme kurde à Rojava, de moins en moins de photos du leader cernent l’espace public ; elles sont de plus en plus remplacées par des photos de femmes et des martyres : 

« Il s’avère que même si le leadership a pu accélérer l’avancement du mouvement des femmes au Rojava, ce sont les chaînes des événements, la circulation des réflexions et des pratiques collectives, et surtout le (re)travail des femmes qui ont amené le mouvement vers les bilans égalitaires démocratiques actuels. ». Et elle dénonce l’invisibilisation de ces interactions et autonomisation en process que des approches réductrices mettant trop en avant ce qui est visible (la position féministe du leader), son rôle individuel, pour effacer le rôle réel des femmes dans ce processus, et que c’est cela « le propre de tout autoritarisme », « plus que toute autre chose » : rendre invisible le collectif anonyme par le sur-visible de l’individu mis en avant.  

Cette pragmatique dans l’application de la doctrine du leader présent/absent, la prise en compte des spécificités locales, une approche démocratique de la quête du compromis autour de valeurs centrales minimales,  et la place de la recherche de solutions pratiques à travers mille interactions des acteurs présents dans cette révolution citoyenne du Rojava, peuvent se lire également dans les consensus par essence démocratiques avec les « Meclîs Ruspi » pour parvenir à organiser pour les hommes et pour les marchandises un espace viable dans un contexte de telles incertitudes et d’insécurités généralisées et durables. 

Cette insécurité appelle en effet une organisation de l’espace local, dans le but de construire des formes de sécurité et de recherches de la paix adaptées à ce complexe et très difficile contexte, très dur au quotidien. C’est le « travail de la paix » qui seul peut permettre la vie et les déplacements nécessaires des humains et des marchandises, alors que la menace permanente de l’invasion turque ou autre, des bombardements, des fermetures et ouvertures des frontières (par exemple les relations très instables entre le Rosava et le gouvernement régional Kurdistan irakien rendent très aléatoires les échanges, les périodes de fermeture/ouverture de la frontière, et renforcent l’enclavement de la révolution citoyenne), de la mort, toutes ces menaces  sont  partout prégnantes. La révolution de 2012 met en place dans l’organisation sociale des tribus (et de ceux qui ne peuvent se reconnaître dans telle ou telle affiliation et représentation tribale, comme certains syriens et assyriens présents là) des formes de représentation politiques locales. Elles ne recoupent pas exactement la division de l’espace mise en place par l’Administration Autonome. 

Sont donc mises en place hors les usuelles formes des partis et des mouvements politiques dès 2014 des meclîs ruspî, des assemblées non rigides qui rassemblent des représentants des tribus locales et autres catégories particulières. Compatibles avec les valeurs de la révolution, elles apportent une représentation plurielle et contribuent à cristallisation d’espaces moins insécurisés « au travers des ententes et solidarités historiques entre tribus ainsi que sur des figures de pouvoirs régionaux », pas nécessairement liées à une hiérarchie tribale ou même à une affiliation à telle ou telle tribu.  Elles assurent le pouvoir vivre-ensemble et travaillent à la paix, au compromis, aux réconciliations entre des personnes, des familles, des tribus, mais aussi ont un rôle diplomatique entre l’administration autonome et les Sheikh ou Axa. Cette représentation politique plurielle aide à la cohésion sociale. « Elle est perçue […] comme un socle « démocratique », puisque l’ancrage régional permet la représentation des différences ethno-confessionnelle au sein des affaires sociales. ». Le « travail de la paix » est ici toujours fait dans l’urgence et une nouvelle manière de concevoir le vivre-ensemble est recherchée. 

La fonction diplomatique ne doit pas être négligée : 

« Par exemple, en septembre 2021, le clan al-Bo Khatab de la tribu Jubur s’était soulevé dans la région  de Tel Brak suite au manque de services et aux conditions de vie difficiles. Les représentants des Jubur au sein de l’assemblée et du conseil ont rencontré les dignitaires du clan afin de médier les discussions entre eux et l’administration autonome. Des discussions entre les forces de sécurité intérieure et les dignitaires provenant de l’assemblée des ruspî et du clan al-Bo Kharab ont résulté la libération des 35 personnes arrêtées sur place. »

Une autre fonction est celle de représentation des revendications sur les sujets quotidiens comme le prix du blé ou celui des hydrocarbures : 

« Les assemblées ont par exemple porté les revendications pour faire augmenter le prix d’achat du blé par l’administration autonome en 2019, ou pour contrer la « résolution 119 », loi relative à l’augmentation du prix des hydrocarbures et ayant été annulée par l’administration autonome le 19 mai 2019. Bien entendu, les assemblées des dignitaires tribaux n’étaient pas les seuls à défendre les revendications populaires : des mouvements de grève, des déclarations publiques de la part de personnalités médiatiques et politiques ont notamment eu lieu. » 

Une autre caractéristique est de permettre des choix entre différents récits historiques locaux définissant les répartitions de l’espace, les alliances et guerres entre tribus, autant que les alliances militaires internationales, toutes deux  étant en fait très fluides (la bascule entre l’aide militaire,  ou la « neutralité », ou l’abandon par les puissances internationales impliquées, de Rosava face aux turcs, ayant été durement éprouvée par le peuple), font qu’un choix dans les récits d’interprétations des faits est un choix politique d’objectif de paix, de vivre-ensemble ou de dominations et asservissements, donc de construction de toute relative « sécurité » ou d’insécurité symbolique et réelle pour la révolution citoyenne ; avec hélas la difficulté qu’en temps de guerre, la recherche de la vérité est a priori la première sacrifiée, sauf à approfondir et étudier en confrontant les sources et en cherchant les plus authentiques et documentées.  

L’invasion d’Afrin en 2018 et de Sere Kaniye en 2019 par la Turquie a profondément renforcé le climat d’insécurité généralisée, dont la spectacularisation par les médias d’une alternance de période de paix alternant avec des périodes de guerre ne peut pas bien rendre compte des phénomènes profonds ceux qui décident du destin du Rojava, et auxquels les diverses formes politiques inventées par la révolution citoyenne essaient de répondre, même face à de telles menaces. 

Ainsi le mur construit par la Turquie est l’incarnation matérielle et symbolique de la menace destructrice qui pèse sur elle : 

« Façonné par des tronçons de béton de trois mètres de haut ornés de larges boucles de fils barbelés, le mur, créé après le début de la guerre civile syrienne couvre plusieurs centaines de kilomètres de la frontière. » 
Une énorme porte blindée matérialise et symbolise les paroles du président turc de pouvoir fondre en une nuit sur ses ennemis. 

« La peur dans le Nord-est syrien […] n’est à un moment précis, mais est plutôt une constante liée à l’incertitude quant à une violence à venir. Circuler matérialise la paix […] » pour un habitant, et, en même temps, amène le danger. Les assemblées de Meclîs ruspî sont une parmi d’autres des réponses apportées pour tenter d’organiser une circulation de paix et du vivre-ensemble.  

La stratégie d’enclavement de Rojava, de guerre d’usure et de destruction des ressources par le gouvernement turc démultiplie cette insécurité, jusqu’aux limites extrêmes de survie matérielles et de l’annihilation symbolique. Ainsi, les incendies des oliveraies sont une des formes de terreur les plus éprouvantes pour un paysan kurde, yezedi ou syriaque, et symbolise aux yeux de tous l’ignominie.   Les bombardements des champs au phosphore, la destruction des premiers centres de retraitement des déchets, le bombardement des stations de pompage, la contamination de la nappe phréatique, la déforestation, sont systématisés. L’exemple d’Afrin montre bien que l’invasion militaire, le pillage, l’expulsion des habitants, vont avec la destruction totale de l’écosystème de la région. Il s’agit pour la Turquie de rendre invivable la révolution, ajoutant aux fléaux du réchauffement climatique (assèchement des rivières du Rojava, expansion du désert). 

De même qu’après les violents affrontements  entre l’État islamique et les FDS en 2017 à Taqba, où est le célèbre barrage et son lac bleu entouré de verdure, affrontements qui ont abouti à des bombardements « par la Coalition qui certes a aidé les forces arabo-kurdes à libérer la ville de Daech, mais n’est quasiment plus présente aujourd’hui, ni pour l’urgence humanitaire, ni pour la reconstruction et encore moins pour aider l’AANES auto-administration à porter son projet d’émancipation des femmes et de coexistence pacifique », la situation est devenue dramatique, de même, les forces turques poursuivent à leur tour leur propre guerre en asséchant de leur territoire l’eau précieuse de l’Euphrate, qui prend sa source  à la frontière turque, traverse la région, puis irrigue l’Irak voisin.  Elle baisse le niveau d’eau accordé : « La Turquie doit en théorie laisser passer au moins 500 mètres cubes d’eau par seconde vers la Syrie et l’Irak. Mais dès que l’Administration Autonome est arrivée dans la région, le débit a diminué [d’abord à 400 mètres seconde, puis 250 en moyenne, voire moins] », déclare Walat Darwish, administrateur du barrage. Des barrages multiples sont construits dans les rivières de Turquie pour que l’eau n’arrive que chichement en Syrie du Nord est. Les conséquences sur la santé des enfants sont massives : des maladies enfantines se multiplient (la santé publique avance le chiffre de 60’000 enfants malades par an suite à la consommation de l'eau non potable, soit en équivalent France, 1’800’000).  L’eau potable est hors de prix et il n’y a pas d’autre choix que de puiser dans des puits non potables. La guerre d’usure contre le Rojava recourt au pire des guerres de l’eau. 

Selon Corinne Morel-Darleux : 

« Sur la lassitude, voire le « ras-le-bol » qui s’exprimerait dans la population qui sont parfois rapportés, il y a de l’exaspération c’est vrai, mais elle est avant tout liée aux attaques et conflits qui ne s’arrêtent jamais, à la gestion très compliquée des flux de déplacés que génèrent les attaques turques et des prisonniers de Daech qu’aucun pays de la Coalition ne veut gérer, au contexte de blocus, de pénurie en électricité, en eau, en essence […] »

Pour l’instant, la Turquie n’en est restée qu’à une amputation de Rojava. Il semblerait qu’un invasion militaire complète rencontrerait, outre une résistance forte du peuple agressé, car le système du pluralisme démocratique, féministe, pluriethnique, laïc sans le mot,   semble être localement apprécié hors d’évidentes réticences ou oppositions, une opposition de la Coalition, et comporterait des risques de retour d’un califat islamiste, un réveil de ses cellules dormantes, Daech n’ayant été que partiellement vaincue, et vaincue pdans la seule destruction de son État. 

En tout cas, c’est une création sociale-historique originale, en processus constant, que rien n’autorise ni à idéaliser ni à diaboliser, encore moins à détruire ou à laisser détruire : c’est le choix d’un peuple, et cela relève de sa souveraineté. La France a un comportement variable vis-à-vis des Kurdes, selon les aléas des réactions erratiques de Macron et d’Erdoğan dans leurs rapports et selon les évolutions géopolitiques : 

« A l’origine des premières prises de position pour la cause kurde, du fait du mandat français en Syrie dans l’entre-deux-guerres, le Rojava a ensuite été peu à peu marginalisé dans les revendications de cette lutte tout au long de la deuxième moitié du XXe siècle. Néanmoins, avec l’échec des révolutions du Printemps Arabe et le développement d’une Administration Autonome sous la forme d’« utopie » [référence aux analyses le classant dans ce genre de société, comme Olivier Grojean, Le PKK et la fabrique d’une utopie, 2017. Mais, pour nous, les habitants restés au Rojava ne semblent pas avoir voulu ou vouloir vivre une « utopie », simplement vivre un choix politique de société fait en souveraineté retrouvée] à défendre suite à la bataille de Kobané, le Kurdistan syrien s’est (ré)imposé comme la vitrine principale du mouvement transnational kurde depuis 2014. Au nom de l’action directe contre le terrorisme, de la défense des minorités religieuses ou de la tentative de création de la défense d’un modèle démocratique sans précédent, le PYD et ses combattants ont été à une époque soutenus par la majorité d’une classe politique française en grande partie non initiée aux revendications kurdes auparavant. Cependant, le PKK -organe à l’origine du PYD-, est toujours qualifié de terroriste, notamment par l’Union européenne, bien qu’ayant lutté côte à côte contre Daech avec les forces armées de certains de ses Etats membres, comme la France. De ce fait, suite à l’annonce prématurée de la défaite de Daech, les Kurdes de Syrie et une partie de leurs soutiens en Europe se sont de nouveau retrouvés menacés. Tout d’abord par la Turquie, qui a débuté une campagne militaire d’encerclement puis d’extermination de l’administration autonome du Nord-Est syrien dès 2018, en parallèle de la reprise d’une répression politique et judiciaire plus forte que jamais pour les mouvements kurdes sur son territoire à partir de 2015. Puis par ses alliés occidentaux comme la France, où la progressive désescalade des tensions entre Emmanuel macron et son homologue turc s’est de nouveau traduite en 2021 par une série d’arrestations et de perquisitions dans les milieux pro-Kurdes, malgré le large soutien transpartisan – et notamment gouvernemental-, dont avaient bénéficié leur cause et leurs revendications dans les mois précédents. Pour mieux illustrer cette dissonance cognitive et la menace qui pèse historiquement sur les militants de la cause kurde, les services de renseignements français se sont également illustrés par une mise sous surveillance judiciaire de leurs compatriotes s’étant engagés volontairement au Rojava depuis 2014… » , écrit Rémi Carcélès. 

La situation peut évoluer, si on pense à l’exemple d’un groupe interparlementaire transpartisan anglais en demandant au gouvernement de Sa Majesté de revoir sa position à propos du PKK.

 

Pour sa part, Traits d’Union soutient et diffuse les appels de solidarité avec le Rojava, auxquels nos députés LFI et nombre d’élus de divers membres de l’alliance électorale NUPES participent régulièrement : 

https://www.revue-ballast.fr/rojava-brisons-le-silence/

https://lafranceinsoumise.fr/2019/01/23/delegation-au-rojava-les-elus-france-insoumise-apportent-leur-soutien-au-peuple-kurde/

https://www.youtube.com/watch?v=f-dZC5-ZEOQ

Il est également possible de faire des dons pour le Rojava au secours Populaire, à La Croix Rouge internationale et au Croissant Rouge. 

GUY DELACOUR

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