C’est cette fois un écrivain belge qui écrit sur la tragique histoire actuelle de l’un des pays de notre circonscription, la Syrie.
Le choix d’écriture est décisif. On sait le succès si mérité du regretté Joseph Pontus (décédé le 24 février 2021) qui, pour À la ligne, Feuillets d’usine août 2020), a recouru avec maestria au choix d’écrire un roman en vers libres. Cela a été une totale réussite pour dire ce qu’est la vie d’un ouvrier. Loin des sinistres et ennuyeuses formes de la littérature dite « engagée » des romans réalistes, même si, en leur temps, elles furent décisives pour l’histoire littéraire. L’efficacité de ce choix est redoutable. C’est la même réussite que nous offre Antoine Wauters. Mahmoud ou la montée des eaux relève de la grande littérature, et son thème croisant vie individuelle, poésie, tragédies de l’histoire, guerre civiles et guerres géopolitiques, chaos, terreurs et terrorisme, tyrannies, catastrophes écologiques, guerres de l’eau, nous concerne nous Français de l’Étranger vivant dans notre circonscription.
Ce roman en vers libres met en scène un vieil homme qui rame dans une barque au-dessus d’une immense étendue d’eau générée par la construction du barrage de Tabqa. Ce barrage est célèbre pour plusieurs raisons. Elles sont évoquées dans ce roman. Nous ne pouvons les développer toutes. Barrage sur l’Euphrate, lié à l’histoire de la famille d’autocrates régnant en Syrie (lire le roman pour en apprendre plus) , il a failli être détruit par le sinistre Etat islamique qui a menacé de noyer toute la région, puis reconquis par différentes forces d’opposition. L’important pour notre roman est que le vieil homme plonge dans les profondeurs métaphoriques de cette étendue avec un masque et son tuba, et que cette plongée est en fait une plongée dans les thèmes cités plus haut. La maison de son enfance a été engloutie sous ce lac El-Assad, symbole des délires productivistes des régimes autoritaires, jusqu’à faire la guerre civile à leur propre peuple. Folies des hommes, folies de la guerre, folie des mensonges de la poésie dite « engagée », militarisée comme l’écrivait Benjamin Péret en 1945 dans Le déshonneur des poètes, d’ailleurs bien à l’encontre des poètes et romanciers syriens vivant sur place, on en peut moins dire ! Le vieil homme plonge donc, et s’enfonce à la fois dans l’obscurité et la nuit de l’histoire tragique de la Syrie et dans son propre passé. Le roman est traversé par la forme dialogique donnant par exemple la parole à l’épouse aimée, amoureuse de la poésie russe (et on comprend et ce n’est pas fortuit !) qui a été violée et assassinée par la soldatesque de la guerre civile à son propre peuple :
« À ton retour, ils avaient défoncé la porte, Si bien que tu as fait un pas en avant, balayé la pièce du regard à toute vitesse Et lorsque tu as vu ma robe laminée, Puis les pages déchirées de mes poètes russes Tu t’es mis à genoux Tu es tombé. […] Dans mon poing, chiffonnée, la page d’un poème d’Akhmatova. Elle s’y trouve encore. Tu l’as laissée, mon ange. Cela, ils n’ont pas pu le prendre. Ils n’ont pas pu le violer. C’est, lorsqu’une espérance expire Qu’une chanson de plus s’élève. […] Et tu n’es plus revenu. Tu n’as plus revu la maison. Et moi, j’ai attendu, ; Chaque nuit. »
GUY DELACOUR